L’impact du CO₂ en plongée CCR : comprendre, prévenir, réagir

Introduction

La plongée en circuit fermé (CCR) offre des avantages incomparables : autonomie étendue, gestion optimisée des gaz, silence absolu. Mais elle s’accompagne aussi de risques spécifiques, dont l’un des plus sournois est l’accumulation de dioxyde de carbone (CO₂). Invisible, inodore, difficilement détectable, le CO₂ est l’un des facteurs de risque majeurs en plongée CCR. Comprendre son rôle et ses effets est fondamental pour plonger en sécurité.


1. Le CO₂ : un toxique métabolique silencieux

Le CO₂ est un déchet naturel du métabolisme cellulaire. En plongée en circuit ouvert, il est expulsé dans l’eau. En CCR, il est absorbé par un médium chimique (chaux sodée) contenu dans un canister. Si l’absorption échoue, le CO₂ s’accumule dans la boucle respiratoire et dans le sang, provoquant une hypercapnie, un état potentiellement mortel.

Symptômes de l’hypercapnie :

  • Essoufflement anormal
  • Céphalées
  • Anxiété ou panique
  • Confusion mentale
  • Diminution de la coordination
  • Perte de connaissance

2. Le rôle physiologique du CO₂ dans la respiration

Le CO₂ n’est pas qu’un simple déchet. Il est le principal régulateur de la respiration.

Lorsqu’il s’accumule dans le sang, il forme de l’acide carbonique, ce qui abaisse le pH. Les récepteurs chimiques situés dans le tronc cérébral détectent cette acidification et déclenchent une augmentation du rythme respiratoire. C’est donc l’élévation du CO₂ (et non le manque d’oxygène) qui provoque l’envie de respirer.

En CCR, si le CO₂ n’est pas éliminé par la chaux, le plongeur ventile de plus en plus, ce qui crée un cercle vicieux :

  • Hypercapnie → hausse du rythme respiratoire → production accrue de CO₂ → surcharge → perte de connaissance

Conséquences physiologiques :

  • Acidose respiratoire
  • Vasodilatation cérébrale → céphalées, vertiges
  • Troubles du rythme cardiaque
  • Altération cognitive

En résumé : le CO₂ est à la fois un signal, un toxique, et un piège. En CCR, sa maîtrise est vitale.


3. Fonctionnement d’une cartouche de chaux et impact de la profondeur

Une cartouche de chaux sodée (canister) a pour mission d’absorber le CO₂ expiré par le plongeur avant qu’il ne soit ré-inhalé. Le gaz traverse un lit de chaux où se produit une réaction chimique : le CO₂ est transformé en carbonate de calcium (CaCO₃) via une série de réactions exothermiques. Pour que cette réaction soit efficace, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • Tassage homogène : évite les « canaux préférentiels » qui court-circuitent le lit absorbant
  • Filtration progressive : la chaux est traversée de manière régulière sur toute sa section
  • Absence de vide : évite les poches d’air non traitées

L’isolation thermique du canister est également cruciale. Le processus d’absorption du CO₂ produit de la chaleur ; cette chaleur est un indicateur de la réaction en cours. Une perte de température excessive peut ralentir la réaction ou indiquer un fonctionnement partiel. Un canister bien isolé conserve mieux cette chaleur, garantissant une absorption plus régulière et plus longue dans le temps.

Impact de la profondeur :

  • En profondeur, la densité du gaz augmente, ce qui diminue sa vitesse de circulation dans la chaux.
  • Cela peut réduire l’efficacité du contact chimique si la ventilation est insuffisante ou mal répartie.
  • De plus, une mauvaise gestion du rythme ventilatoire à forte pression ambiante peut favoriser l’accumulation de CO₂ malgré une chaux encore active.

Conclusion : la performance de la cartouche dépend autant de sa qualité, de son montage, que de la ventilation du plongeur et de la profondeur à laquelle elle est utilisée.


4. Les causes d’une mauvaise élimination du CO₂ en CCR

  • Cartouche mal remplie ou mal tassée
  • Chaux dépassée ou mal stockée
  • Faux-poumons mal positionnés
  • Mushrooms (soupapes) du DSV/BOV non étanches
  • Effort physique excessif
  • Ventilation inefficace
  • Défaut de montage ou fuite dans la boucle

5. Préparation : la rigueur avant tout

a. Canister

  • Chaux certifiée plongée (EN 14143)
  • Remplissage homogène et tassage régulier
  • Respect du temps d’utilisation

b. Boucle respiratoire

  • Vérification des clapets
  • Tests de pression positif et négatif
  • Absence de fuite

c. Préparation du plongeur

  • Hydratation, forme physique, pas de stress
  • Connaissance de ses limites

6. Gestion sous l’eau : discipline et attention

  • Ventilation lente, profonde et régulière
  • Éviter tout effort inutile
  • Contrôle de la flottabilité
  • Surveillance constante des sensations respiratoires
  • Bonne configuration de la PPO₂ pour minimiser l’effort ventilatoire

7. Réagir rapidement à l’hypercapnie

  • Sortir immédiatement de la boucle
  • Passer sur le bloc de secours (open circuit ou second CCR)
  • Remonter en sécurité
  • Ne jamais forcer à rester sur la boucle si un doute existe

8. Densité des gaz respirés et impact de la PPO₂ : des facteurs aggravants

La densité d’un gaz dépend de sa composition (N₂, He, O₂) et de la profondeur. Plus elle est élevée, plus le gaz est difficile à ventiler.

Effets :

  • Augmentation de l’effort respiratoire
  • Tendance à ventiler moins efficacement
  • Hausse de la production de CO₂

Tableau – Densité à différentes profondeurs :

Mélange1 bar (surface)4 bar (30 m)
Air~1.2 g/L~4.8 g/L
O₂ pur~1.4 g/L~5.6 g/L
Trimix 18/45~0.9 g/L~3.6 g/L

Il est recommandé de maintenir la densité du gaz < 6,1 g/L en plongée profonde, et < 4.5 g/L si effort prévu.


9. Les facteurs internes et externes favorisant l’accumulation de CO₂

Une étude menée par Gavin Anthony et le professeur Simon Mitchell a examiné les conséquences physiologiques de l’utilisation de gaz denses en plongée CCR. Les chercheurs ont démontré que lorsque la densité du gaz respiré dépassait 6 g/L, le risque d’hypercapnie et d’échec ventilatoire augmentait fortement. L’étude s’appuie sur un large échantillon de plongées techniques en recycleur et montre une corrélation directe entre la densité du mélange respiré et la probabilité de survenue d’un essoufflement.

En particulier :

  • Le taux d’échec des plongées (abandon prématuré, symptômes d’hypercapnie) était significativement plus élevé au-delà de 6 g/L.
  • La capacité de ventilation volontaire est réduite de près de 50 % à 30 mètres de profondeur.

L’étude recommande de maintenir une densité respiratoire inférieure à 5.2 g/L, avec un seuil critique absolu à 6.2 g/L.

Cette étude appuie fortement les recommandations pratiques de limitation de la densité des gaz, en particulier lors des plongées longues, profondes ou avec port de charges.

Effet d’une forte PPO₂ sur la physiologie respiratoire

Une pression partielle d’oxygène (PPO₂) élevée est bénéfique pour l’oxygénation des tissus, mais elle n’est pas sans conséquence sur la production et la gestion du CO₂ :

  • Stimulation du métabolisme : à des PPO₂ proches de 1.3 à 1.6 bar, le métabolisme peut légèrement s’accélérer, augmentant la production de CO₂.
  • Inhibition du centre respiratoire : paradoxalement, une PPO₂ trop élevée peut réduire la stimulation ventilatoire, ralentissant la fréquence respiratoire. Cela peut conduire à une ventilation trop faible et favoriser l’accumulation de CO₂.
  • Effet sur le seuil de tolérance : une forte PPO₂ peut masquer les premiers signes d’hypercapnie, retardant la réaction du plongeur.

La PPO₂ peut également impacter indirectement la densité du gaz, notamment à forte valeur.
Plus la PPO₂ est élevée, plus la proportion d’oxygène dans le mélange augmente… or, l’oxygène est un gaz relativement dense (plus que l’hélium, et même légèrement plus que l’azote). Résultat :

Un gaz enrichi en O₂ devient mécaniquement plus “lourd” à ventiler, surtout en profondeur.

Dans ces situations, il peut être préférable d’abaisser temporairement la PPO₂ (par ajout de diluant) pour alléger le gaz et faciliter la ventilation.
Cela permet de diminuer la résistance respiratoire et donc la production de CO₂.

Le bon réglage de PPO₂ est donc un compromis entre sécurité métabolique, efficacité décompressive… et confort ventilatoire.


Il est donc essentiel de choisir une PPO₂ adaptée au type d’effort, à la profondeur et à la configuration du plongeur, et de toujours privilégier une ventilation consciente et efficace.

Facteurs internes : liés au plongeur

  • Effort physique important (palmage, remontée)
  • Fatigue ou stress
  • Ventilation superficielle ou irrégulière
  • Hyperventilation ou apnée réflexe
  • Mauvaise condition physique

Facteurs externes : liés à l’équipement, la posture ou la configuration

  • Gaz trop dense
  • Faux-poumons mal positionnés ou trop rigides
  • Conception d’un CCR avec des effets venturis ou des zones mortes
  • Tuyaux trop longs ou trop fins
  • Trim incorrect : position inadaptée perturbe la ventilation et les flux dans la boucle
  • Boucle mal entretenue
  • Harnais ou matériel mal ajusté
  • Température froide
  • Combinaison mal ajustée
  • Lestage trop important

Ce n’est pas un seul facteur qui cause l’hypercapnie, mais une combinaison. Chaque petit détail peut faire la différence entre une plongée sûre et un accident.


10. Impact du CO₂ sur les accidents de décompression

L’hypercapnie n’est pas seulement un risque en soi : elle peut aussi aggraver significativement la probabilité et la gravité des accidents de décompression (ADD).

1. Vasodilatation et échanges gazeux perturbés

Le CO₂ agit comme un puissant vasodilatateur. Lorsqu’il est présent en excès dans l’organisme, il augmente le débit sanguin périphérique. Cela modifie les échanges gazeux dans les tissus et peut favoriser :

  • Une absorption excessive d’azote ou d’hélium dans les compartiments lents
  • Une élimination ralentie des gaz inertes en phase de remontée.

2. Effet sur la perfusion tissulaire

L’acidose induite par l’hypercapnie modifie l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène (effet Bohr) et impacte négativement la perfusion des tissus. Résultat :

  • Les gradients de diffusion sont perturbés
  • L’élimination des gaz dissous est moins efficace
  • Le risque de formation de bulles augmente, notamment dans les tissus peu perfusés

3. Risque de désorganisation de la décompression

Un plongeur en hypercapnie peut :

  • Effectuer une remontée rapide par panique
  • Perdre la lucidité nécessaire à l’application du plan de décompression

4. Études et retours d’expérience

Des cas cliniques rapportés dans les bases de données DAN et UHMS indiquent une fréquence plus élevée d’ADD chez les plongeurs ayant montré des signes d’hypercapnie en plongée, même avec un respect apparent des profils.

En résumé : une mauvaise gestion du CO₂ ne compromet pas seulement la sécurité respiratoire. Elle perturbe toute la mécanique de la décompression. Elle doit donc être intégrée dans l’analyse des risques, tout autant que la gestion des mélanges et des profils de plongée.


11. Autres effets physiopathologiques du CO₂ en plongée CCR

En complément des risques immédiats liés à l’hypercapnie, d’autres effets physiopathologiques doivent être pris en compte dans l’analyse des risques d’une plongée en recycleur.

1. Amplification de la narcose

L’hypercapnie est un facteur qui renforce significativement les effets narcotiques des gaz inertes. Elle diminue les capacités cognitives, ralentit les réflexes, altère le jugement et augmente la désorientation. En profondeur, ce phénomène peut amplifier la narcose à l’azote ou même au néon.

2. Risque accru d’œdème pulmonaire d’immersion (IPO)

Des recherches menées notamment par le Dr Olivier Castagna ont montré que l’hypercapnie favorise l’apparition d’un œdème pulmonaire d’immersion. Ce risque est accentué par :

  • L’effort à froid
  • La vasoconstriction périphérique
  • L’effort inspiratoire
  • La hausse de la pression vasculaire pulmonaire liée au CO₂

3. Dégradation cognitive et altération de la prise de décision

Une hypercapnie, même modérée peut provoquer :

  • Un ralentissement des temps de réaction
  • Une baisse de vigilance
  • Des erreurs de procédure (changement de diluant, oubli de réglage, mauvaise interprétation des alarmes)

Dans un environnement aussi exigeant que le CCR, cela peut rapidement se traduire par des incidents critiques.

4. Réduction de la perception sensorielle

Le CO₂ altère la sensibilité aux signaux visuels et sonores. Cela peut entraîner :

  • Une sous-estimation des signaux HUD
  • Une non-réaction aux alarmes
  • Une mauvaise évaluation de la situation (temps de plongée, profondeur, PPO₂)

Ces effets ne sont pas toujours perçus comme une alerte physiologique. Ils peuvent passer inaperçus jusqu’à ce que la situation devienne irréversible. D’où l’importance d’une vigilance accrue même en l’absence de signes évidents d’essoufflement.


12. Montage du canister : protocole à respecter

  1. Vérifier l’intégrité et la présence des joints du canister
  2. Verser la chaux en couches successives et tasser entre chaque couches
  3. Refermer soigneusement
  4. Une fois totalement rempli, tasser à nouveau dans les sens non usuels et vérifier l’absence de zone vide (secouer le canister)
  5. Vérifier la présence et l’intégrité des joints du scrubber
  6. Effectuer un test de pression positif/négatif

13. Stockage de la chaux : pratiques, risques et données scientifiques

Résultats d’une étude scientifique sur la conservation des cartouches partiellement utilisées

Une étude publiée en 2018 par Pollock, Mitchell, Fock et al., dans la revue Diving and Hyperbaric Medicine, s’est penchée sur la performance de cartouches de chaux partiellement utilisées après stockage prolongé dans différentes conditions. L’objectif était d’évaluer l’impact du stockage sur la capacité d’absorption résiduelle du CO₂.

Méthodologie :
Chaque canister a été utilisé pendant 90 minutes sur banc d’essai en circuit fermé simulé, puis stocké selon trois modalités pendant 28 jours :

  • Ouvert à l’air libre
  • Hermétiquement scellé dans un sac sous vide
  • Canister témoin utilisé sans interruption

Après 28 jours, chaque canister a été remis en service et le taux de CO₂ mesuré en sortie jusqu’à atteindre un seuil critique de 0,5 % (5000 ppm).

Résultats clés :

  • Le canister stocké à l’air libre a vu sa durée d’efficacité résiduelle réduite de 47 %, par rapport au témoin.
  • Le canister scellé sous vide a maintenu une performance supérieure, avec seulement 20 % de perte par rapport au témoin.
  • Le stockage d’une nuit à l’air libre n’a pas eu d’effet mesurable sur les performances.

Ces résultats démontrent que l’exposition prolongée à l’air dégrade fortement la capacité de filtration, même en l’absence d’utilisation.

Conclusion pratique :

  • Une cartouche partiellement utilisée peut être stockée à l’air libre et réutilisée sans perte significative dans les 24 heures.
  • Il est recommandé de laisser sécher la chaux à l’air libre entre deux plongées pour réduire son taux d’humidité résiduelle. Une chaux déjà humide dès le départ perdra très vite en efficacité.
  • Éviter de conserver une chaux entamée plus de 2 à 3 semaines, même dans de bonnes conditions (sac étanche, environnement frais), cela augmente le risque de prolifération bactérienne.
  • Il est primordial d’entretenir un suivi rigoureux du temps d’utilisation de la chaux, que ce soit via un compte à rebours intégré à l’ordinateur, une étiquette inscrite sur le canister, ou tout autre moyen fiable : sans ce repère, il est impossible de garantir la capacité de filtration restante.

Au-delà de 24 heures, un stockage hermétique ou sous vide est fortement recommandé.

En plongée CCR, en cas de doute… il n’y a pas de doute à avoir : on change la chaux.


14. Une culture de prévention à diffuser

La gestion du CO₂ doit faire partie intégrante de la formation, du matériel et de la pratique du plongeur CCR.

  • Former à la ventilation efficace
  • Simuler des cas d’hypercapnie
  • Contrôler le remplissage de la chaux en binôme
  • Comprendre l’impact de chaque facteur

La rigueur sauve des vies. Le CO₂ ne laisse pas de seconde chance.


Conclusion

Le CO₂ est un ennemi invisible mais redoutable. Maîtriser sa production et son élimination, c’est comprendre sa physiologie, connaître son matériel, et adopter une rigueur constante dans chaque détail. En CCR, chaque inspiration est un choix conscient : celui de la sécurité, de la maîtrise, et de l’excellence technique.


© 2025 – Texte rédigé par Nicolas Febvay. Tous droits réservés.

11 réponses sur “L’impact du CO₂ en plongée CCR : comprendre, prévenir, réagir”

  1. Bonjour, merci beaucoup pour cette publication, très instructive !
    Je vais modifier la manière dont je stock mes canister au delà de 24h . Lorsque celle-ci est partiellement utilisé.
    Merci encore, bien à vous.
    Didier

  2. Très bon résumé sur les risques liés au co2, je pense qu’il faut vraiment insister sur le fait de changer la chaux au moindre doute et notamment après des périodes d’inutilisation de plus de 3 semaines !

    1. Merci pour ton commentaire, Claude.
      Je partage entièrement ton avis : en cas de doute, il n’y a pas de doute, il faut changer la chaux !
      Je te rejoins également sur le fait qu’une conservation prolongée devient aléatoire et potentiellement risquée.

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